🖋️ "Écrire, c’est une façon d’exister. Pour moi, c’était peut-être une façon de survivre." - Dominique Aury
Un regard personnel sur une œuvre littéraire provocante, entre fascination, silence et abandon
Je tiens d’abord à préciser que ce qui suit n’est que mon point de vue, mon étude, mon analyse. Ce n’est ni une vérité universelle, ni une critique littéraire classique. C’est mon regard, forgé par mon vécu, mes expériences relationnelles D/s, par mon métier de thérapeute, mais aussi par des échanges riches avec des patientes et des personnes ayant vécu ou exploré des expériences BDSM très intenses, parfois sous les dynamiques de soumission extrême, de rôle “d'esclave”, ou d’abandon total et absolu d’elles-mêmes à l’autre.
Ce livre, Histoire d’O, je l’ai relu récemment. Il m’interroge, me dérange parfois, “m’agace” souvent. Et au-delà de la fiction érotique extrême qu’il expose, je pense qu’il mérite qu’on s’y attarde avec recul, sensibilité, discernement et réflexion, parce que le silence qu’il contient, et l’histoire personnelle de l’autrice avec son amant Paulhan, sont, à mes yeux, aussi importants que les contenus qu’il expose.
🧭 Un contexte historique où les femmes n'étaient pas vraiment représentées
Replaçons déjà le contexte de l’époque pour les femmes.
Ce roman naît dans une France encore marquée par la guerre, les privations, et surtout par une société profondément patriarcale (bla bla bla, le fameux patriarcat, calmez vous les gens 😄). À l’époque de sa publication, en 1954, les femmes ont obtenu le droit de vote depuis à peine 10 ans. Elles n’ont pas encore le droit d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur mari (cela viendra en 1965), et la sexualité féminine, surtout quand elle sort des sentiers de la maternité ou du devoir conjugal, est quasi invisible dans les espaces publics.
Dominique Aury, de son vrai nom Anne Desclos, est une femme brillante, traductrice reconnue, membre influente de la NRF. Elle vit dans un monde d’hommes. Et parmi eux, il y a Jean Paulhan (de 23 ans son aîné) , intellectuel majeur, résistant, critique littéraire, marié, père, admiré… et celui qu’elle aime. Leur relation est secrète et extraconjugale, mais profonde et marquante.
💞 Un geste d’amour intellectuel ? Ou un cri déguisé ?
Un jour, Paulhan, passionné de littérature érotique, aurait dit à Aury : « Tu ne pourrais jamais écrire un tel livre. »
Elle racontera plus tard qu’elle a reçu cette phrase comme une provocation douce, un défi, peut-être même une mise à l’épreuve de sa valeur.
Alors elle s’est lancée, pour lui, en secret. Elle lui a écrit Histoire d’O (en 3 mois) comme on écrit une lettre d’amour détournée. Mais au lieu d’un poème, elle lui livre une fiction brutale, déstabilisante, crue, dérangeante. On y suit une femme, O, qui se soumet corps et âme. Une mise en scène de l’abandon absolu.
Mais est-ce vraiment un acte d’amour ? Ou une façon détournée de dire : “voilà jusqu’où je peux aller pour toi, regarde ce que je suis capable d’écrire” ?
👁️ O : un personnage sans passé, sans voix propre
Ce qui m’interpelle profondément dans ce livre, c’est le silence. O ne choisit rien. Elle subit. Elle est emmenée, offerte, utilisée, et pourtant ne remet jamais en question ce qui lui arrive. Elle attend. Elle attend que René l’aime. Puis elle attend que Sir Stephen la reconnaisse. Elle attend tout de l’extérieur, sans qu’on sache jamais ce qui se passe en elle.
Et ce silence est lourd de sens : on ne connaît rien de son passé, de ce qui a pu la conduire à accepter ces conditions. En tant que thérapeute, cela m’interpelle. On parlerait ici de “bénéfices secondaires” : qu’est-ce que ce rôle lui permet d’éviter, de ressentir, de revivre peut-être ? On n’a pas la clé. Et c’est peut-être là une limite forte du roman : il ne nous donne aucune possibilité de comprendre, juste celle d’assister.
🔍 Ce que le roman ne nous dit pas : le grand silence autour de O
Ce qui est le plus troublant, ce n’est pas ce que le roman décrit, mais ce qu’il omet volontairement (ou pas). On sait très peu de choses sur O. Pas de prénom. Pas d’histoire personnelle, description physique minimale de O, elle est désincarnée, fragmentée et symbolique. Ce n’est pas une femme que l’on voit : c’est un concept de soumission que l’on projette. Pas de blessures anciennes, aucune construction psychologique et personnelle. O n’a pas de prénom complet, pas d’âge, pas de passé. Elle est volontairement dépersonnalisée, comme si son corps et sa fonction suffisaient à raconter l’histoire. Et pourtant, elle est le centre de tout...
Curieusement, les personnages secondaires, René, Sir Stephen, Jacqueline, Anne-Marie, et même les “maîtres” anonymes ou les valets, sont plus caractérisés qu’elle. Leurs désirs, leurs intentions, leur rapport à O sont décrits plus en détail, alors qu’elle-même reste presque abstraite, comme un support, un symbole, une page blanche sur laquelle chacun projette.
Et cela pose une question essentielle…
De gauche à droite : Marcel Arland, Jean Paulhan et Dominique Aury, en 1953.
⁉️ Pourquoi Dominique Aury a-t-elle choisi de ne pas construire le personnage de O ?
Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
1. Omission volontaire ou oubli inconscient ?
Peut-être Aury ne voulait pas que l’on comprenne O. Peut-être elle-même n’avait pas encore mis en lumière ses propres motivations, désirs ou blessures. En n’offrant aucune clé psychologique, elle empêche le lecteur de décoder ou de nuancer. On est face à un absolu, non questionné. Et c’est précisément ce qui dérange.
2. Projection d’elle-même ?
Certains passages laissent penser que O est un miroir partiel de Dominique Aury, ou plutôt de ce qu’elle voulait montrer à Paulhan. Mais en la privant de profondeur, elle s’interdit aussi de la confronter à une vérité intérieure. O devient alors une figure symbolique, presque conceptuelle, incarnant une soumission idéale, mais irréaliste.
3. Volonté d’imposer une idée sans débat ?
Le roman ne donne aucun espace critique. Il n’offre pas au lecteur la possibilité de douter, de s’interroger, de comprendre les racines du personnage. C’est le concept de soumission totale qui est mis en avant, comme un dogme, presque mystique, au nom de l’amour.
Et si cette absence de justification n’était pas une faiblesse littéraire… mais une stratégie de l’auteure pour nous imposer une idée radicale sans nous laisser le temps d’en discuter ?
🧠 Derrière les lignes : les leviers psychiques
Ce silence autour de O n’efface pas les leviers psychologiques sous-jacents. Bien au contraire, il les amplifie :
Dans la posture de O, on retrouve ce que l’on entend parfois en thérapie chez certaines patientes :
“Je ne sais pas ce que je veux, tant que je suis aimée, je suis prête à tout.”
Et pourtant, aucune blessure n’est racontée. Aucun trauma. Aucune origine à ce comportement. Dominique Aury efface les causes, pour ne laisser que les effets. Et c’est là que réside la plus grande ambiguïté (ou déception) du roman.
⚠️ Ne pas confondre fiction provocante et réalité intime
Ce livre est outrageusement provocant. Et c’est sans doute ce qu’Aury a voulu. Elle ne cherchait pas à décrire une expérience personnelle, ni à défendre un style de vie. Elle provoque Paulhan, elle le défie intellectuellement, elle joue avec les limites du dicible.
Ce n’est ni un manifeste BDSM, ni une confession réelle. C’est une œuvre littéraire construite pour choquer, pour interroger, et peut-être pour se faire entendre autrement. Un outrage jeté à la face de Paulhan ?
L'auteur Pauline Réage (alias Anne Desclos) portant une cagoule pour cacher son identité en acceptant le prix littéraire Le Prix des Deux Magots pour son roman érotique controversé « L'histoire d'O », Paris, 1955
📙 Ce que beaucoup oublient : Histoire d’O n’était pas destiné à être publié
Je pense que là aussi réside une réponse à ces questions.
Il est essentiel, lorsqu’on lit ou relit Histoire d’O, de garder en tête ce point fondamental et pas des moindres:
👉 Dominique Aury n’a pas écrit ce roman pour le public. Elle l’a écrit pour Jean Paulhan. UNIQUEMENT.
Ce n’est ni un manifeste, ni un appel à débat, ni une œuvre pensée pour choquer le monde. C’est un texte né dans l’intimité, dans une relation amoureuse, intellectuelle et déséquilibrée, entre une femme secrètement amoureuse et un homme brillant, charismatique, admiré… mais aussi marié et inaccessible.
💌 Une lettre d’amour masquée
Elle-même le dira dans plusieurs entretiens :
« Je l’ai écrit pour lui. Je ne pensais pas que cela verrait jamais le jour. »
C’est un cri silencieux, déguisé en fiction extrême, une forme de séduction inversée :
"Tu crois qu’une femme ne peut pas écrire un livre érotique ? Regarde ce que je peux faire. Lis ce que je peux être."
⚠️ Conséquence majeure : une œuvre sans filtre
Parce qu’elle n’écrivait que pour lui, Dominique Aury n’a mis aucune limite.
- Pas de justification.
- Pas de construction narrative classique.
- Pas d’ancrage psychologique.
- Pas de morale.
Elle ne cherchait pas à convaincre un lectorat, mais à impressionner un seul homme, dans une relation où l’écriture devenait le seul moyen de faire exister son amour.
C’est sans doute ce qui donne à Histoire d’O à la fois sa puissance brute… et ses zones d’ombres.
💬 En guise d’invitation
Ce premier article est une porte d’entrée dans une série de réflexions autour de ce roman unique, de son autrice, de son époque, et de tout ce que cette fiction soulève. Il ne s’agit pas de juger, ni de valider ou rejeter. Il s’agit de regarder autrement. De lire entre les lignes. Et de réfléchir ensemble.
🔜 Dans le prochain article, j’aborderai les mécanismes psychologiques de dissociation, de transformation et d’auto-effacement à travers le parcours de O et son auteure.
En attendant, je serais très heureux de lire vos ressentis, vos impressions, vos désaccords ou vos propres lectures de ce roman. Car plus que jamais, ce genre d’œuvre mérite qu’on en parle avec nuance, bienveillance et lucidité.
Ecrit par
Olivier Pairon
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